mercredi 20 avril 2016

Visite crépusculaire au marais de Goulaine

5 avril 2016
Après avoir travaillé de nombreuses heures pendant l’automne et l’hiver sur nos deux affûts du marais de Goulaine, il était temps d’en profiter pour l’observation.
L’arrivée aux affûts ne peut se faire que par barque - la nôtre est propulsée par un moteur électrique, puis par une courte marche dans l’eau avec nos waders, le niveau montant jusqu’au ventre, voire plus dans les trous ! L’affût n°1, où nous nous rendons, est situé en bordure de la héronnière et les nids les plus proches sont à 50m. Il est implanté dans une “bouillée’’ de saules (terme que je ne connaissais pas avant d’arriver dans la région) ; cela permet d’être dissimulés au regard des oiseaux, surtout quand les feuilles auront poussé. En attendant, nous avons tendu des bâches comme écran pour être le plus discret possible.
Ce mardi soir, le ciel est dégagé avec un vent faible, et la lumière du coucher de soleil réchauffe les couleurs des saules qui se couvrent de feuilles d’un vert tendre. Aussitôt grimpés à trois mètres dans l’affût, nous pouvons constater que les ardéidés sont bien présents. Sur notre droite, les Grandes Aigrettes sont déjà installées au sommet des premiers saules. En cherchant bien, nous distinguons à travers les branches six oiseaux installés sur des nids. Une dizaine de Hérons garde-bœufs sont également perchés avec les aigrettes et deux Bihoreaux gris ne tardent pas à les rejoindre. Un coup de longue-vue, pendant que la lumière est suffisante, permet d’admirer leurs yeux rouges et les fines aigrettes de leurs têtes.
Des rires de Grèbes castagneux éclatent tout près de nous. En regardant par une fente, je finis par en découvrir un dans notre bouillée inondée au pied de notre cachette. Je le suis un moment en guettant les remous de l’eau pendant ses plongées, il ressort avec des matériaux et vient les déposer sur une plateforme que je n’avais pas remarquée. Génial, il y a un autre grèbe dessus, sans doute un couveur, il ne faut que quelques minutes avant de voir ce dernier se soulever pour nous laisser admirer un œuf assez rond, blanc et qui commence à se salir sous l’action de la décomposition des matériaux du nid. Décidément, les castagneux aiment nos constructions car il y a aussi un nid à 5m de l’affût n°2, distant de 250m de l’affût N°1. D’autres chanteurs se signalent sur la droite.
Mon ami Franck me signale une Spatule blanche qui vient de se poser au loin sur une zone où 4 nids avaient été comptés l’année dernière. Après un petit moment, elle disparaît vers un ancien nid. Nous voyons vaguement une forme blanche mais quand le feuillage sera à son maximum, nous ne pourrons plus rien distinguer. Seules les allées et venues  du couple nous renseigneront sur une reproduction.
Les Hérons cendrés sont installés sur la héronnière depuis que la chasse est fermée. La plupart des couples sont déjà en train de couver et les premiers poussins sont peut-être déjà nés. Les Garde-bœufs arrivent en permanence par dizaines et se dirigent plutôt vers l’affût n°2 sur notre gauche, la prochaine fois nous choisirons ce dernier. Quelques Aigrettes garzettes sont dispersées sur toute la zone, c’est l’espèce la moins nombreuse.
Soudain Franck signale 9 oiseaux sombres qui arrivent sur la droite, les points grossissent, bingo ! Des Ibis falcinelles ! Pendant l’hiver, 3 oiseaux ont été observés régulièrement en bordure du marais sur des prairies inondées. Ils s’approchent, passent devant nous et se posent devant l’affût n°2. J’enrage : impossible de voir le ratio adultes-immatures ! C’est notre rêve, des falcinelles nicheurs. Comme ce sont des oiseaux nomades, ils seront peut-être repartis dans quelques jours, mais pour le moment nous croisons les doigts. D’autres ibis, sacrés eux, les rejoignent. Le nombre des garde-bœufs continue d’augmenter.
Un busard des roseaux survole la héronnière, panique, puis les oiseaux se reposent, mais les falcinelles descendent dans les saules. Le nombre de garde-bœufs est impressionnant, plus de 300, voir sans doute 400 d’après Franck. Toutes les prairies du vignoble vont être écumées et les vaches bien gardées.
Devant nous, dans le fouillis de végétaux secs, deux Grèbes huppés vont et viennent, construisant un nid. Un couple de Canards souchets  se pose sur l’eau libre, mais ce n’est pas du goût d’une foulque qui les intimide plusieurs fois pour les faire déguerpir. 
La lumière décline : ce n’est pas l’heure où les lions vont boire, mais l’heure où les bihoreaux quittent la héronnière pour aller se nourrir sur le marais ou plus loin. Leurs cris de corvidés se retrouvent dans leur nom scientifique : Nycticorax, corbeau de nuit. J’habite près de la vallée de la Divatte vers la Chapelle-Basse-Mer et au printemps, j’en vois passer ou je les entends crier en vol au dessus de la maison quand la nuit est tombée. Jusqu’où vont-ils pêcher? C’est leur secret.
Il est temps de repartir. Avant de rentrer au port, nous décidons de faire un tour vers un terrier-hutte de castor. Le long du trajet nous dérangeons quelques Rats musqués et Ragondins. Une cane traverse le canal, suivie par 8 canetons de quelques jours à peine : des colverts. Nous arrêtons la barque, les petits piaillent, certains plongent pour échapper au danger que nous représentons, puis rejoignent leur mère cachée dans la végétation.
Soudain un énorme plouf éclate sur l’eau, c’est la queue d’un castor qui vient d’alerter. Quelques mètres plus loin un héron immature pêche depuis la rive, encore une alerte à côté de lui qui le surprend autant que nous. Nous repartons pour ne pas embêter notre gros rongeur plus longtemps.
Dans les vignes près du port, deux Œdicnèmes criards s’en donnent à cœur-joie ne mentant pas sur leur nom d’espèce.
Nous sommes conscients d’être des privilégiés pour profiter de ce spectacle. Que deviendrait le marais si des dizaines de barques le sillonnaient chaque jour ? Sans embarcation, il est possible d’observer au pont de l’Ouen toutes les espèces de hérons en vol ou posées sur les rives des deux plans d’eau quand les pêcheurs sont peu nombreux.
Jean-Luc Le Chanceux